Comme beaucoup malheureusement, je connais d'abord et seulement Haïti pour sa misère: villages et vies détruites par des séismes économiques, environnementaux et politiques. Avoir de l'empathie, s'intéresser, vouloir aider, c'est s'approcher de ce qui paraît laid, c'est chercher à comprendre, c'est croire en un lendemain meilleur là où l'espoir semble être mort. C'est ainsi que Lorfils Réjouis me conseille "Assistance Mortelle", un film de Raoul Peck, qui tout en dressant un portrait éclairant, sans ambiguïté ni fioriture sur Haïti, démontre également tout le talent que cette nation porte. Je découvre que Alexandre Dumas est fils de mulâtre, que Beyonce et Kerry James descendent d'Haïtiens aussi. On se demande alors pourquoi cette communauté haïtienne si brillante reste si discrète sur ses origines. Une réponse est peut-être dans l'Histoire seulement chuchotée de la première République d'Hommes noirs de l'Histoire. Du combat contre l'esclavage et pour la libération d'Haïti par Jean-Jacques Dessalines, et Dominique Toussaint Louverture qu'une plaque sur le parvis de la médiathèque de ma ville honore, sans que ma génération ne s'y intéresse vraiment. Je découvre que cette Histoire est tabou parce qu'elle fait écho à des questions d'identité et des relations de pouvoirs, historiques et économiques pas encore très bien résolues des deux côtés de l'Atlantique. Je comprends aussi que les récits subjectifs des deux parties deviennent plus enrichissantes si on les confronte. Je m'intéresse donc aux médias haïtiens francophones qui s'adressent surtout à une élite intellectuelle émigrée pour fuir le chaos politique, environnemental et social de leur pays : Le Nouvelliste, Haïti Progrès, Haïti en Marche qui relève l'éternelle "confusion du monde politique". Sans illusion, ils nous informent: "Jovenel Moïse n’est plus embêté par son opposition, détenant aujourd’hui un pouvoir quasi dictatorial par la force des choses, au point de faire miroiter dans son message du 18 mai dernier (...) qu’il se prépare à organiser des législatives".
J'ai rencontré l'artiste Gary Legrand dont les peintures racontent un peu de ce qu'est Haïti: un mélange de spirituel représenté par le bleu, et de matériel, peint en terre de sienne. Il m'a raconté l'importance du vaudou dans la culture haïtienne, ce qui a attisé ma curiosité. Devant le peu d'articles en français à ce sujet, j'en ai profité pour inaugurer mon compte de contributeur dans Wikipedia pour traduire l'article sur le Vaudou Haïtien de l'anglais vers le français (https://fr.wikipedia.org/wiki/Vaudou_haïtien). En passant de "l'autre côté", on se rend mieux compte de l'immense réseau académique parallèle qu'est Wikipedia et du travail critique des créateurs conscients des limites de leur site. On découvre d'où vient la source de l'information publique sur cette plateforme, quels enjeux d'influence peuvent se glisser derrière chaque article, et quels rapports les différentes langues entretiennent entre elles à travers les transferts d'articles d'une langue à une autre.
J'ai profité de notre cours de méthodologie pour développer une réflexion autour de l'engagement dans l'Art et quelles applications je pourrais en tirer pour mener un atelier avec Gary Legrand lors du Festival des Arts haïtiens. Malheureusement, cette initiative n'a pu avoir lieu à cause de l'épidémie. Cependant cette recherche a été l'occasion de découvrir les penseurs de la Négritude, Senghor, Césaire, Damas, et l'influence de leur pensée dans la constitution de l'identité de mes associés Haïtiens, en tant que Noirs de France. Tout en rejetant le soi-disant concept biologique de "races" humaines, certains des membres de l'ARCHE se revendiquent Nègres. Ces questions culturelles et politiques, loin de faire consensus, sont sans cesse débattues à l'ARCHE. La prégnance d'une culture haïtienne encastrée dans la culture française a également été l'occasion de débats plus informels sur la langue, l'éducation, les rapports entre sexes, dans la communauté haïtienne de France.
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